Christiane Singer, « Du bon usage des crises »
Christiane
Singer, « Du bon usage des crises »….un petit extrait
J’ai
gagné la certitude, en cours de route, que les catastrophes sont là pour nous
éviter le pire.
Et
le pire, comment pourrais-je exprimer ce qu’est le pire ? Le pire, c’est bel et
bien d’avoir traversé la vie sans naufrages, d’être resté à la surface des
choses, d’avoir dansé au bal des ombres, d’avoir pataugé dans ce marécage des
on-dit, des apparences, de n’avoir jamais été précipité dans une autre
dimension. Les crises, dans la société où nous vivons, sont vraiment ce qu’on a
encore trouvé de mieux, à défaut de maître, quand on en a pas à la portée de la
main, pour entrer dans l’autre dimension. Dans notre société, toute l’ambition,
toute la concentration est de nous détourner, de détourner notre attention de
tout ce qui est important. Un système de fils barbelés, d’interdits pour ne pas
avoir accès à notre profondeur {…}
C’est
une immense conspiration, la plus gigantesque conspiration d’une civilisation
contre l’âme, contre l’esprit. Dans une société où tout est barré, où les
chemins ne sont pas indiqués, pour entrer dans la profondeur, il n’y a que la
crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise, qui sert en quelque
sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons
murés, avec tout l’arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être
{…}
Nous
sommes tous spécialisés dans l’esquive, dans le détournement, dans le «
divertissement » tel que le voyait Pascal. Il n’y a au fond que cette
possibilité, subitement, de se dire : « Oui, mais tout cela, tout ce qui
m’enserre, tout ce qui m’étrangle, mais c’est moi !»
Christiane
Singer, « Du bon usage des crises »